Juan_rico
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18 Oct 2007, 16:29 |
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Le journal LE MONDE a publié un article sur cette affaire :
La source
Reportage
Saint-Dizier : retour sur une émeute
LE MONDE | 16.10.07 | 14h37 • Mis à jour le 16.10.07 | 20h53
20 h 41, ce jeudi 4 octobre, le policier de permanence téléphonique au commissariat de Saint-Dizier, 30 900 habitants, en Haute-Marne, reçoit un appel au secours. Le premier des cent cinquante qui seront lancés dans la soirée. Au bout du fil, des habitants du quartier du Vert-Bois, paniqués par les scènes d'émeute au pied de leur immeuble. Trente à quarante jeunes, cagoulés, armés de barres de fer, dégradent et incendient des véhicules, agressent pompiers et policiers, saccagent des bâtiments publics, puis y mettent le feu.
Après des mois de conflits larvés, la "marmite" du Vert-Bois, un quartier classé zone urbaine sensible, vient d'exploser. Un cauchemar pour les habitants : deux bâtiments et une vingtaine de voitures qui flambent, les odeurs du plastique et du caoutchouc qui brûlent, la fumée qui envahit les immeubles, le bruit des vitres que brisent les assaillants, les crises de nerfs des victimes et ces émeutiers de 12 à 20 ans, le visage dissimulé, qui hurlent. "C'est cela qui m'a le plus frappé : les cris que poussaient les jeunes", se souvient Djilali Djafer, médiateur et responsable local du Parti socialiste, présent sur place.
Dix jours après les faits, toutes les pistes convergent vers une bande en situation de rupture. "Des brutes aveugles", dit le procureur de la République, Jean-Claude Dumarets. "Des gens sans foi ni loi", pour le préfet, Yves Guillot. Des adolescents et des jeunes adultes qui ont poussé au paroxysme la défense de "leur" territoire. Et qui ont lentement dérivé dans une logique d'affrontement avec les institutions policières mais aussi sociales.
Les enquêteurs, comme les habitants, sont convaincus que les cibles n'ont pas été choisies au hasard. A l'origine, une rumeur de bavure. Ce jeudi 4 octobre, un homme a été écroué pour avoir giflé un policier devant le commissariat. Dans la cité, certains commencent à raconter que l'homme interpellé a été frappé, puis transporté à l'hôpital. Les autorités infirment, mais les esprits s'échauffent.
Un peu avant 21 heures, lorsque les pompiers, escortés "par précaution" par trois policiers de la brigade anticriminalité (BAC), sortent de leur camion pour éteindre un premier incendie, ils sont victimes de jets de pierres, puis agressés avec des barres de fer et des battes de base-ball. "On a cru qu'on allait y rester", témoigne un des pompiers, convaincu d'avoir échappé de peu à un lynchage. Ils réussissent à se réfugier dans leurs véhicules et à prendre la fuite. Un pompier et un policier sont légèrement blessés.
A cet instant, les émeutiers profitent de la faiblesse des moyens policiers. Une dizaine de fonctionnaires, seulement, sont alors en service. "C'est le dispositif normal pour une ville de 30 000 habitants. Mais nous nous sommes retrouvés face à un événement disproportionné pour un commissariat de ce type", relève le préfet. Des renforts sont demandés à la gendarmerie locale, les policiers au repos sont rappelés au commissariat. Leurs collègues de Chaumont, à 75 km, sont aussi appelés en urgence, mais il leur faut 47 minutes pour arriver sur place. "Entre 20 h 50 et 21 h 50, le temps que les renforts arrivent, j'ai donné la priorité à la sauvegarde de la vie humaine", explique le directeur départemental de la sécurité publique, Michel Klein.
Les forces de l'ordre reçoivent pour consigne de n'intervenir qu'en cas de menace physique sur un habitant. La bande va donc disposer d'une heure de totale liberté pour s'attaquer aux bâtiments publics. Et régler ses comptes avec deux institutions sociales. La MJC d'abord, qui occupe un énorme bâtiment au milieu de la cité, subit des assauts extrêmement violents. Une première fois, des émeutiers fracassent les vitres à coups de barres de fer. Ils reviennent une deuxième fois, achèvent de saccager le rez-de-chaussée et incendient le bureau du directeur.
Une volonté de destruction qui amène les enquêteurs à émettre l'hypothèse que la MJC constituait la cible principale. "Il y a un différend entre une partie des jeunes et la MJC. Des plaintes ont été déposées et des enquêtes sont en cours pour des menaces et des agressions commises il y a quelque temps par des délinquants du quartier", indique Michel Klein. Le directeur, Moussa Zidour, a déjà été menacé, agressé une fois et sa voiture incendiée. Deux animateurs ont aussi été molestés sur leur lieu de travail. Des tensions liées à la reprise en main de la MJC après une période de laisser-aller. "C'était devenu un haut lieu de trafic de cannabis", explique le maire (UMP) de Saint-Dizier, François Cornut-Gentille. "La MJC avait l'image d'un repaire de brigands. Il y avait des groupes de jeunes qui squattaient les locaux comme ils le font parfois dans un hall d'immeuble", reconnaît Moussa Zidour, directeur depuis 2003. Des mères de famille racontent qu'elles avaient arrêté de s'y rendre pour ne plus subir d'insultes.
La MJC avait instauré de nouvelles règles de fonctionnement : respect des horaires, comportement correct, interdiction de fumer, participation financière pour les activités... Un reprise en main très mal vécue par une partie des usagers : "Ces jeunes ne supportent pas qu'on leur dise non. Je leur ai dit non quand ils me demandaient de participer sans payer et j'ai été frappé", témoigne un des animateurs. Après diverses agressions, le directeur, Moussa Zidour, a refusé de se plier à "l'habituelle loi du silence" et a porté plainte. Il est devenu une "balance", comme le qualifie un proche des agresseurs.
Pendant ces quelque soixante minutes où elle prend le contrôle de la cité, la bande s'attaque à un deuxième organisme social, l'office HLM. Des vitres sont brisées, une des entrées est incendiée, provoquant 35 000 euros de dégâts. Huit véhicules, dont personne n'ignore qu'ils appartiennent au bailleur social, sont incendiés sur le parking fermé à clé. Treize autres sont saccagés. Un acharnement que certains jeunes, qui demandent un strict anonymat, expliquent par le rejet de la politique de rénovation urbaine lancée en 2004.
Une partie des habitants auraient estimé insuffisant le nombre d'embauches dans le quartier pendant les travaux. Certains en sont venus à perturber les chantiers, incendiant un engin de terrassement et "caillassant" à plusieurs reprises des ouvriers qui avaient le malheur d'être étrangers à la cité. Au point que l'office HLM s'est trouvé contraint de recruter des vigiles pour protéger les entreprises.
Le ressentiment sur la question de l'emploi a été d'autant plus fort que, quelques années plus tôt, les autorités avaient été tentées d'acheter la paix sociale en embauchant des "leaders". Une politique des "grands frères" qui a envoyé un message délétère sur le long terme. "Des perturbateurs ont été remerciés par des emplois, notamment dans les HLM ou à la MJC", regrette Djilali Djafer, le responsable local du Parti socialiste. Le maire, François Cornut-Gentille, le reconnaît avec franchise : "On a fait une énorme connerie en offrant des emplois jeunes à des mecs qui avaient brûlé." Une tentative "naïve", selon ses termes, de constituer des relais dans la cité.
A travers la remise en cause de la rénovation urbaine, ces jeunes visent aussi le maire. "Il construit des ronds-points dans le quartier mais ne fait rien pour nous", résume de manière abrupte un ancien animateur, très remonté contre l'élu UMP. "La rénovation urbaine touche les murs mais il n'y a rien pour le social", ajoute Mehdi Benaissa, un étudiant de 29 ans. Les mêmes soulignent que l'aménagement de la route nationale, qui séparait le quartier du centre-ville, a effacé une frontière physique mais n'a pas abattu la frontière symbolique entre deux mondes qui continuent de s'ignorer.
Les discours vis-à-vis de la mairie sont virulents, mais quel poids leur accorder ? En l'absence de témoins, les critiques s'atténuent. Certes, disent certains jeunes, l'accès à l'emploi est problématique dans un quartier où le taux de chômage est deux fois plus élevé que dans le reste de la ville. Certes, insistent-ils, les discriminations raciales atteignent un niveau très élevé dans une commune où Jean-Marie Le Pen a obtenu près de 20 % des suffrages en mai. Mais le comportement des émeutiers leur paraît "inacceptable" et représente "la pire des attitudes".
Surtout, le maire semble bénéficier d'un soutien assez large parmi les adultes. Dans les cinq bureaux de vote du quartier, qui avaient donné une très nette avance à Ségolène Royal au premier tour de la présidentielle, le maire, député UMP sortant, loin d'être victime d'un rejet populaire, a recueilli 46 % des suffrages au premier tour des législatives. François Cornut-Gentille veut y voir l'expression de la "majorité silencieuse".
Cette "majorité silencieuse" a été profondément heurtée par la soirée du 4 octobre. Dans les discours privés, les émeutiers sont violemment critiqués. Cela apparaît plus nettement encore dans le nombre important de témoignages recueillis par les policiers. "Beaucoup de gens ont parlé. La souffrance est tellement inacceptable qu'elle l'a emporté sur la peur", analyse Michel Klein, le directeur départemental de la sécurité publique.
Les enquêteurs affirment accumuler les preuves avant de procéder à des interpellations (voir encadré). Là où la peur des représailles imposait le silence, le choc de l'émeute pourrait paradoxalement avoir libéré la parole.
Luc Bronner
Quinze suspects interpellés
Quinze suspects, parmi lesquels trois mineurs, ont été interpellés mardi 16 octobre à Saint-Dizier dans le cadre de l'enquête sur les violences du 4 octobre. Quelque 120 policiers ont été mobilisés pour l'opération, qui a débuté mardi juste après 6 heures du matin dans le quartier du Vert-Bois. Des habitants du quartier se sont plaints de la violence employée par les policiers durant les interpellations. Celles-ci "ont eu lieu après un patient travail d'enquête" du SRPJ de Reims et du commissariat de Saint-Dizier, a précisé le procureur de Chaumont Jean-Claude Dumarets. De nouvelles perquisitions ont eu lieu mardi dans la journée. – (Avec AFP.)
Article paru dans l'édition du 17.10.07 |
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