dom49bspp
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28 Mai 2008, 14:27 |
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Vendredi matin à la caserne Gouzé. Main sur le bip, l'équipe du jour est sur le qui-vive, prête à bondir pour soulager les blessures de la ville.
7 h 15. La voix préenregistrée arrache trois pompiers à leurs gobelets de petit noir. « Départ, VSAV, 1. » VSAV, comme Véhicule de secours et d'assistance aux victimes. Premier sigle dans le maquis des abréviations de la caserne. Quelque part dans la ville, un drame, petit ou grand, vient de se nouer. Les sauveteurs bondissent en courant dans l'ambulance, plan en main. Grande hâte sans précipitation (tout un art).
8 h. Vingt gars, une fille, tous pros : l'équipe au complet est là pour le rassemblement, en demi-cercle face au chef de garde, Fabrice Bosch. Lequel prépare le déroulement de la matinée, sans se faire trop d'illusions. C'est la fin de la semaine, jour de grosse activité à Nantes. Le bip ne va pas chômer. Entretien, vérification du matériel, manoeuvres, sports... Le planning est minuté, mais le sous-off sourit : « Comme d'habitude, rien ne va se passer comme prévu. » Dans la cour, les fourgons incendies dévident leurs entrailles de tuyauteries. L'équipe affectée au véhicule ausculte son engin, manipule lances, manettes et échelles. Indispensables vérifications quotidiennes. Idem dans les trois ambulances (les VSAV), la cellule mobile d'intervention chimique (Cmic), le camion des plongeurs, le véhicule tout usage (VTU), et celui des secours routiers, le VSR... VSR qui « décale » (1) à 8 h 58, appelé pour une collision avec un deux-roues.
9 h et des poussières. Dans l'une des voitures ruinées entreposées dans la cour, Anthony Boutoille vient de « subir » un traumatisme de la colonne vertébrale. Pour de faux. Ses collègues le sortent de là, sous les consignes de l'instructeur secouriste. Reproduits inlassablement, les gestes qui sauvent se sont gravés en réflexes. Le blessé volontaire est mis en boîte... par les vannes qui fusent de partout. C'est lui la tête de turc des minutes à venir. Fabrice Bosch éclate de rire : « Rien à faire contre ça. Faut attendre que ça passe. On y a tous droit à un moment ou un autre... »
Effectivement, les flèches moqueuses tombent à flux tendu. Sans concession, mais tout en bienveillance. Un remède manifestement efficace contre le stress du pompier, bonne huile dans les rouages de la vie en collectivité. 24 heures sur le pont, sans vraiment dormir, ça crée des liens. Et aussi des conflits. « Mais sur un incendie, deux gars qui viennent de s'engueuler sont capables de risquer leur vie l'un pour l'autre », glisse quelqu'un.
Fin de matinée dans le gymnase. Le pompier est un grand sportif, pas le choix! Sa survie et son efficacité dépendent de sa condition physique. Or donc, le pompier s'entraîne, quotidiennement. Les bips posés un peu partout sur les tapis d'entraînement vont hurler d'un moment à l'autre. Tout à l'heure, le VTU a « décalé » pour explorer un appart éclairé depuis trois jours. Une heure avant, à Zola, les policiers avaient reniflé « une odeur de mort ». Pas de décès ni dans l'un ni dans l'autre cas, cette fois. « Mais à Zola, 40 cm de détritus recouvraient tout le logement », explique l'un des intervenants. Ces « personnes ne répondant pas aux appels », c'est le lot quotidien de la caserne. « On en a bien un par jour en moyenne, plus encore le week-end, quand les petits-enfants téléphonent à la grand-mère... Et qu'elle n'y est pas ! »
Midi dans le réfectoire. Longues tablées traversées de rires ininterrompus. Philosophe, la cible des lazzis fait le gros dos en attendant que l'orage passe et tombe sur le voisin. Dans la cafet', quatre rangées de pompiers pioncent devant les infos télévisées, sommeil flash volé entre deux beuglements de sirène : « On est vendredi, la nuit va être longue avec les sorties de bars, dès 1 h. Et de boîtes, à 4 h, diagnostique un connaisseur. Ceux des ambulances, ils savent qu'ils vont devoir tenir jusqu'au matin. » Près du distributeur à café, Fred Joncheray résume ce que tout le monde pense : « On fait de plus en plus de social, parce qu'il y a plus de solitude, plus de SDF... et des gens qui ne savent pas comment réagir face à ça. Comme ces couples qui sortent du resto et nous appellent pour un sans-abri qui dort sous un porche. Comme les mômes qui s'alcoolisent. L'autre fois, on est tombé sur une gamine de 19 ans. Elle avait trop bu, elle pleurait sur le trottoir. » Quelqu'un s'en était ému, avait pensé aux pompiers pour sécher les larmes adolescentes.
14 h 30 à la base nautique du quai Magellan, dans le centre-ville. L'équipe de plongeurs tente une sortie d'entraînement à bord du canot. Dotés d'une formation spéciale, ces spécialistes du secours nautique ont appris à dompter la Loire et ses forts courants. À accrocher des parachutes aux voitures qui coulent. À installer des barrages antipollution... Et à repêcher ceux qui tombent dans les eaux noires et mouvantes. Anthony Boutoille raconte son dernier sauvetage, sous le pont de Pirmil : « Un homme était à l'eau, un policier avait sauté pour le secourir. Quand on est arrivé, ils étaient à bout de force tous les deux. » Plus terrible, les recherches de disparus. Le jeune homme se souvient de décembre 2006. Ce jour où il avait découvert le corps de Taoufik El Amri, l'ouvrier tunisien tombé dans le canal Saint-Félix.
15 h 53. Dans la salle de garde, la radio crachote maintenant sans discontinuer. À l'heure du goûter, une centaine de poissons morts qui surnagent font craindre une pollution. Le chef de groupe part tirer l'affaire au clair. Rien de grave, dira l'homme de l'écluse. La faute à l'orage.
Pendant ce temps, la première ambulance court d'un malaise à un autre. Une femme âgée vient de tomber en montant dans le bus, elle s'est sans doute cassé du col du fémur. Puis, une collision entre une voiture et un scooter nécessite un transport vers le CHU. A 18 h, les trois fourgons incendies allument les gyrophares, direction la fac de sciences. Maigre alerte : le sinistre, vite éteint, a eu raison de trois palettes qui traînaient par là.
Vers 19 h 30, la Cmic entre en scène. Des émanations irritantes ont stoppé la production, dans la Biscuiterie nantaise, à Vertou. Sur place, la litanie des ambulances clignotantes affole les responsables de l'usine. Mais huit personnes sont potentiellement touchées par les gaz. Peut-être faudra-t-il les évacuer vers un hôpital.
Jérôme Boëte et Fabrice Bosch enfilent les combinaisons spéciales, chaussent les masques et les bouteilles d'air. Ils vont rester presque une heure devant le bac d'aluminium dans lequel quelqu'un a déversé de la lessive de soude. La réaction chimique a été radicale, la précipitation a littéralement fait fondre le récipient. Heureusement, personne n'a touché au liquide, personne n'est intoxiqué, et personne ne sera hospitalisé. Fin d'intervention vers 21 h.
Presque minuit. Quelques-uns ont mis à profit l'accalmie des bips pour dormir un peu. Les autres font la causette dans la cour. Pas longtemps pour la blonde Typhaine Grondin et ses deux équipiers de la première ambulance. À 23 h 24, leur VSAV est déclenché pour une chute à domicile. À 23 h 58, devant le Gaumont, pour un schizophrène sans traitement. À 1 h 16, pour un blessé place du Commerce. Ainsi de suite jusqu'à 5 h du matin. À 7 h, la jeune fille exténuée accuse le coup, traits tirés, yeux battus. Comme les autres, elle aura 48 heures pour se reposer. Avant la prochaine garde.
Agnès CLERMONT.
(1) Jargon de pompier.
Ouest-France |
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