olivier1973
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04 Juin 2008, 08:38 |
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Article publié par Ouest France le 2 juin 2008.
Le pompier revient dans sa cité, en footballeur
C'était samedi, près de Malakoff, quartier nantais réputé sensible. Des jeunes des tours y organisaient un tournoi de football inattendu, avec des équipes mixtes d'habitants, pompiers, policiers... Jérôme Boëté, soldat du feu et ancien de la cité, en était. Rencontre.
Samedi après-midi, au palais des sports, à Nantes. Samedi de foot. Pas de quoi en faire un plat ni une manchette, sauf à zoomer sur la composition des équipes : un jeune, un policier, un pompier, un éducateur, un correspondant de nuit... Et tout le monde en short sur le terrain. Pour la journée, oubliés les uniformes, y compris l'ensemble baskets-casquette. Qui est qui ? Aujourd'hui, on risque l'échange d'humain à humain sans la tenue réglementaire.
Une idée des jeunes de Malakoff, quartier voisin réputé sensible avec ses longues barres, ses hautes tours et sa lourde réhabilitation en cours. Idée un peu soufflée par les travailleurs sociaux, non ? « Pas du tout », tranche l'éducateur de prévention, lui aussi en crampons. C'est bien Hamza Zenaidi et Ayoub Bouaricha, la vingtaine, tous les deux membres de Bela-Futsal, l'association de football en salle, qu'ils ont fondée, qui ont fait ce pari gonflé. Réunir, sur le même terrain, ceux avec lesquels, peu ou prou et statut respectif oblige, ça frite de temps en temps.
Exemple : les pompiers n'ont pas oublié ce sauvetage délicat de septembre, dans l'une des HLM. Au milieu des flammes, au cinquième étage, une jeune fille en péril. Autour des fourgons incendie, des dizaines de gens hurlant. Les sauveteurs se sont démenés sous les huées et les insultes d'une foule touchée par la déraison. Pour finir, deux balles de carabine avaient même étoilé le véhicule de l'EDF. La victime du feu avait été sauvée, in extremis et grièvement brûlée.
Jérôme Boëté n'était pas de service ce soir-là. Ce pompier de 34 ans connaît par coeur, en revanche, les réalités de ce quartier qu'il aime, où il a grandi, où son frère et sa mère habitent toujours. Il est arrivé à 6 ans rue du Portugal. Sur les gradins du palais des sports, entre deux matches, il confie avec vivacité son bonheur d'être là, ès qualités, pour soutenir Ayoub, Hamza et les autres. « Les jeunes d'ici, ils sont fiers de ce que je suis devenu. Normal : c'est un beau métier. C'est prestigieux pour eux. »
Lui, tout petit déjà, voulait monter dans les camions de secours. « Comme tous les gamins, sauf que ça m'a jamais lâché. » Mais il quitte l'école à 19 ans, sans rien, après avoir raté un CAP d'ajusteur. Pas assez mûr, réalise-t-il, pour bosser le BEPC qui donne accès au concours de ses rêves. Service militaire, missions en intérim, il se traîne une vie amputée de son rêve en rouge. « Mais avec mes quatre enfants, j'ai dû travailler très vite. Surtout quand ma mère s'est retrouvée seule avec mes quatre frères, au décès de mon père. »
Pourtant le désir est tenace : « Les articles, les reportages... je dévorais tout ce qui concernait les pompiers. Un matin, à 25 ans, je me suis dit : 'Stop, l'usine, c'est pas fait pour toi.' »
Malakoff va le tirer d'affaire, par le biais de Karim Abdelkhafi, son ami d'enfance. « On a bossé les maths ensemble pendant un an, comme des fous. Grâce à lui, j'ai eu mon concours avec des super notes. » Le quartier, une bonne école pour devenir soldat du feu ? Jean-Baptiste Luneau le croirait volontiers. Ce collègue de Jérôme est venu taper dans le ballon, lui aussi. Sur son temps personnel. Parce qu'il a aimé l'idée d'Ayoub et des autres.
Et ce Jérôme, il est comment dans le boulot ? « Super. Je ne sais pas si c'est à cause de ce qu'il a vécu ou quoi, mais il a un vrai sens de l'humour et de la collectivité. » Deux qualités essentielles pour un pompier. « Bien sûr qu'il se fait chambrer tout le temps parce qu'il est de Malakoff. Son surnom ? Wech (mélange de ouais et ça va en langage banlieues), évidemment. »
Jérôme, c'est toujours le dernier couché les soirs de garde. Le genre à ne pas louper les discussions qui traînent en longueur, entre deux départs d'urgence. Sa passion du métier s'est confirmée à l'usage. Mis en appétit, le jeune homme progresse, se perfectionne. Il a profité de la formation pour être équipier dans la cellule mobile d'intervention chimique. Et vient de passer avec succès les tests pour être plongeur, « un truc qui me passionne, c'est inimaginable ».
Coup d'oeil sur le terrain, l'enfant du quartier est dans les buts. Dans l'équipe adverse, François Thomas, le flic du secteur. Venu lui aussi sur son temps personnel. Et les correspondants de nuit d'Optima (société de médiation subventionnée par les collectivités). Et les éducateurs, les animateurs sportifs. Bien sûr, les gradins sont plus que clairsemés. Bien sûr seuls un policier et deux soldats du feu ont dit banco. Bela-Futsal n'aura pas provoqué de révolution dans les rapports entre les jeunes et les uniformes. Mais un germe de changement, peut-être. Et une prise de conscience, pour Jérôme Boëté : « J'ai des souvenirs super forts de mon enfance entre les tours. C'était génial, on était toujours ensemble, à rigoler. »
Les joutes verbales n'en finissaient pas. Des vannes pour mettre de la distance avec les drames, mais aussi pour créer de la complicité. Comme à la caserne. La caserne où Jérôme Boëté a ramené la coupe, samedi soir, après son tournoi victorieux. Et avant de reprendre sa garde de nuit, dans le fourgon incendie.
Agnès CLERMONT. |
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