Forny
Passionné accro
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Posté le:
01 Juil 2008, 12:47 |
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Comme d'habitude, je viens de signer cette nouvelle sur mon site:
http://forny-passion-pompier.e-monsite.com/accueil.html
et comme d'hab, je vous en fais profiter en avant première sur le FOFO, bande de veinards!!!
J'attend vos commentaires et vos critiques sur le site ou ici
bonne lecture
dites le si je vous saoul avec mes trucs hein......
briga
Citation: | Je suis à la Brigade de Sapeurs Pompiers de Paris depuis quelques mois seulement, l’adaptation n’est pas forcement facile, surtout à mon âge. A 18 ans et quelques mois, on est encore un bébé, ce n’est pas les trois poils qui se forment sur le menton qui font de nous un homme. Le seul problème c’est que c’est beaucoup plus tard que l’on se rend compte de cet état de fait. Quelque temps, et quelques coups durs, comme les pompiers en rencontrent souvent. Le coup dur, quand on est jeune, on l’appréhende sans le connaitre, sans même le savoir ou le voir venir. Ce récit décrit un de ces coups durs, tels que les vivent les pompiers de temps en temps. Alors pourquoi cette intervention plus qu’une autre, allez savoir, un psy pourrait peut-être y répondre, bien que j’en doute.
Ce soir, c’est Noel, mon premier noël en uniforme, mon premier noël avec une autre famille que celle du sang, la famille des pompiers. Comme d’habitude, pour cette soirée, le quotidien est amélioré par une bourriche d’huitre, un peu de foie gras de qualité moyenne, et d’un peu de vin.
Le réveillon reste formaté par les traditions de la Brigade, chaque place à table respecte ancienneté et le grade de la garde : le chef en bout de table, les gradés, puis les jeunes piafs. Le service suit cet ordre quasi religieux, donnant une impression de rituel. Le Centre de secours est paré de ses magnifiques guirlandes, d’un petit sapin, et de quelques boules ternies par le temps. Il n’y a guère que la récup pour agrémenter la déco, et la débrouillardise malicieuse de certains. L’ambiance est bonne, nous écoutons les anecdotes du chef de garde sur les réveillons passés, et sur la poisse qui les entourent, le chef explique que cette nuit là réserve pour lui, en général, de sales interventions, et qu’il ne serait pas étonné ce soir, de faire un truc qui sort de l’ordinaire. Mais c’est quoi l’ordinaire pour le pompier ?
L’ordinaire, c’est l’intervention banale, le malaise ou la petite fuite d’eau. Ordinaire pour le pompier, mais un peu moins pour le non initié ou la victime, pour qui l’appel des pompiers et en général un acte extraordinaire, peu commun. Bien qu’il soit vrai que nous ayons quelques « habitués », des « clients » dans notre jargon.
Le repas terminé, le réveillon se termine par une mémorable soirée télé, qui va être interrompue par la sonnerie du Premier Secours (PS). Nous partons pour une personne inconsciente à son domicile. Je suis Homme de Liaison, c'est-à-dire que je suis l’équipe et que je reste à sa disposition, je dois en outre m’occuper de prendre tous les renseignements utiles à la rédaction du rapport par le chef de garde.
Nous arrivons donc dans un appartement décoré pour l’occasion de la fête de Noel, à table, toute une famille observe inquiète les pompiers se diriger vers la chambre de la maitresse de maison. Le monsieur nous explique que sa femme ne se sentait pas bien durant le repas, qu’elle c’est excusée, puis à désiré se coucher un peu, le temps que ça passe…..Il nous a appelé parce que quand il est venu voir si tout allait bien, elle ne répondait pas. Et pour cause, elle est en arrêt cardio-respiratoire !!!
Nous invitons l’homme à sortir de la chambre pour attaquer les manœuvres de réanimation, tout d’abord mettre la dame sur le sol et pratiquer les compressions thoraciques associées à une ventilation artificielle au masque. Le peu d’espace nous oblige à pratiquer ces gestes à califourchon sur la victime, entre le lit et la porte fenêtre qui donne sur le balcon. Cette ouverture offre une vue magnifique sur la Capitale, ornée de lumière, ou derrière chaque fenêtre éclairée une famille fête noël dans la joie, sans se soucier qu’ici, se joue un drame terrible.
Le chef m’envoie attendre l’UMH (Unité Mobile Hospitalière) et accompagner le médecin et son équipe vers l’intervention. En partant pour ma mission, je croise la fille de la dame, à peine moins âgée que moi, accompagnée de son petit frère, elle vient me demander comment va sa maman, et pourquoi ils n’ont pas le droit de rentrer. Je réponds que je ne peux rien dire pour le moment, mais que je pars chercher un médecin, son cœur ne va pas bien et nous faisons tout pour l’aider. Je souffle un grand coup dans ma tête, elle me remercie et je pars attendre les blouses blanches. Le froid de décembre pince mes joues et mes oreilles, l’attente est toujours longue dans l’urgence, j’en profite pour préparer les bouteilles d’oxygène de réserve pour les monter tout à l’heure. Enfin j’aperçois la lueur bleutée annonçant l’arrivée imminente du toubib. Tout en montant les marches, je réponds aux questions du Doc, et nous entrons dans l’appartement.
L’équipe médicale tente de techniquer la patiente, perfusion, chocs électriques, tout y passe, le médecin tente vraiment tout, et jette toutes ses forces dans la bataille avec nous. Bataille terrible, quand on sait l’enjeu du résultat. Bagarre affreuse, longue, désespérée, qui va durer une heure et demi !!! De très longues minutes où le médecin a commencé son travail de sape, préparé la famille à entendre le pire, longues minutes ou l’idée de sortir affronter le regard d’enfants, de mari, d’oncle de père ou de mère est terrifiant. Et pourtant, il va falloir le faire, le médecin nous annonce l’arrêt des manœuvres, il n’y a plus d’espoir, c’est terminé, la victime est morte. Elle devait l’être déjà très tôt avant qu’on arrive, mais là, c’est officiel, il va falloir sortir de la pièce.
On installe le corps à l’endroit ou nous l’avons trouvé, dans le lit, les yeux recouverts d’un sparadrap pour éviter qu’ils ne s’ouvrent, un oreiller bien sous la tête pour garder la mâchoire fermée, et ainsi offrir une dernière vision de la dame acceptable pour les proches. Une attention toute particulière est prise pour ne rien laisser trainer dans la chambre, les compresses, emballages de matériel médical, et autres sont rangés. Pendant notre macabre toilettage, des cris fusent, transpercent l’air et nous parviennent, le médecin viens d’annoncer le décès à toute la famille, mon sang se glace, et j’appréhende la sortie de la pire des façons. Mais ce moment doit bien arriver un jour, je passe en dernier, le chef en tête transperce la haie de tristesse d’une famille en pleur qui attend pour un dernier adieu à celle qui leur avait mijoté un superbe repas. Mon regard croise celui de la jeune fille de tout à l’heure, elle me retient par le bras. Ses yeux noyés de larmes, inondés par le chagrin, désœuvrée, elle me dit merci, un merci qui résonne encore aujourd’hui dans ma tête, un horrible merci. Pour la première fois de ma carrière, je ressens la petitesse de l’être humain, pour la première fois je m’identifie à la souffrance que vient de provoquer ce décès. Cette femme a l’âge de ma maman, j’ai l’âge de sa fille, et je mesure l’horreur de la soirée pour toute cette famille. Comment passer un réveillon de Noel normalement après ça ???
Le retour au CS est silencieux, aucun n’ose croiser le regard de l’autre. Moi, je ne dis rien, comme les autres, ce soir je ne dormirais pas, je pars m’isoler du reste de la caserne. Il est impossible de dire la souffrance ressentie, impossible de dire aux autres le malaise qui s’installe dans votre crâne après ça. Alors pour ne pas passer pour un faible, pour garder le peu de crédibilité vis-à-vis des collègues, je pars m’isoler. M’isoler et fondre en larme, craquer, faire sortir ce sentiment de ne pas avoir géré la situation. C’est peut-être très con, mais putain que ça fait du bien. Une fois sec de larme, je m’assure que tout le monde dort pour rejoindre mon lit, en silence, toujours pour cacher mon secret entre moi et mon ego.
Le lendemain, le chef me convoque pour savoir comment j’ai pris l’intervention de cette nuit, a-t-il ressenti une possible faiblesse de ma part ???
Je mens et montre un certain détachement, comme si j’avais fais ça tous les jours, aurais-je dû ?? Surement pas, mais en même temps, si j’avais fais mon deuil à l’époque de ce départ, je ne serais pas en train d’écrire !!
Tout ça pour dire à ceux qui croient que les pompiers sont des êtres exceptionnels, qu’ils se trompent, et qu’ils ont affaire à de banals êtres humains. |
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Dernière édition par Forny le 02 Juil 2008, 07:09; édité 1 fois |
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