Predator
Vétéran
Sexe:
Inscrit le: 01 Juil 2006
Messages: 6144
|
Posté le:
18 Avr 2009, 15:44 |
|
Citation: | Samedi, 12h30, la salle d'attente ne s'est toujours pas vidé, en partie par ma faute... « une panne de réveil » m'ayant fait commencé beaucoup plus tard que d'habitude.
Ça s'énerve un peu sur les bancs, et ça va pas s'arranger.
La sonnerie du portable, « Requiem pour un C. » de Gainsbourg me signale un appel des Pompiers. Ça m'arrange pas vraiment, je ne suis pas de garde, j'ai du monde, et du monde qui râle en plus.
D'un autre coté, les gens qui râlent là, seraient bien content si en cas de détresse, on venait à leur secours. Je décide donc de répondre.
Pompiers: « Rica, on a besoin de toi, un arrêt cardiaque sur fausse route à YYYY. Le VSAB est partie »
Au même moment, j'entends la sirène du VSAB qui passe sur le boulevard devant le cabinet.
Moi: « Je les entends. Tu as un véhicule pour venir me chercher ? »
Pompiers: « Je te l'envoie. »
Je finis hâtivement, la consultation en cours, ce sont des patients habituels, ils sont compréhensifs. Je me dépêche d'avertir les patients toujours présent:
Moi: « Désolé, les pompiers viennent me chercher. C'est pour un arrêt cardiaque »
Présenté comme ça.. ils pouvaient pas dire grand chose. Et personne n'a rien dit. Tout le monde s'est levé et est parti.
Le véhicule, sirène hurlante arrive, le conducteur conduit tout en essayant de trouver sur un plan le lieu de l'intervention.
Lui: « YYYY. Vous savez ou c'est ? »
Moi: « Oui... c'est pas juste à coté. Je te guide ».
10 à 15 minutes après on repère le VSAB des pompiers , près d'une somptueuse demeure, de l'autre coté d'un champ.
J'ai la surprise de trouver sur place 2 médecins !
La première c'est la fille de la victime. Et le second, le médecin traitant de la victime. (Ben oui, il est parfois souhaitable qu'un médecin ne suive pas sa famille, ses parents... )
J'hésite 1 minute... et me demande ce que je fais là... mais je m'aperçois qu'ils laissent l'équipe des pompiers faire les premier secours.. sans rien faire de plus. Pas le temps de réfléchir trop longtemps.
Sa fille, logiquement, elle doit être en perte de capacité et de compétence devant l'intensité émotionnelle de la situation. Son médecin traitant, un généraliste non urgentiste, très bon médecin par ailleurs, n'a pas vraiment « l'habitude » des urgences. Ça me gène, car il y a collision de « compétences ».. mais on n'a pas le temps. Les secondes comptent. Ils savent tout deux, que je suis généraliste , ex-urgentiste, et encore (pas pour longtemps) médecin pompier.
Je prend les soins en mains, et dirige l'équipe.
Un des pompiers est en train de la ventiler, il tente de la faire respirer avec un ambu relié à une bouteille d'oxygène. Un autre est en train de faire un massage cardiaque. Le défibrillateur est branché, et la voix de l'appareil précise « Choc non recommandé ».
Pompiers à l'ambu: « Ça force pour la faire respirer ».
Elle était à table, en train de manger de la viande, tout à coup son époux la voit tomber dans son assiette, elle devint bleu puis noire. C'est le moment ou il a appeler sa fille.
Je fais déplacer la patiente, elle est mal placé pour pouvoir accéder correctement aux voies aériennes. S'il y a un morceau de barbaque coincé, il faut se dépêcher d'aller l'enlever. Le temps du déplacement, je m'assure de l'absence de pouls , au poignet, sous la culotte, sur le cou. Je profite de ce court laps de temps pour regarder l'état de ses pupilles: mauvais signe... elles sont déjà dilatées. « Plein phare » comme on dit.
Une « pompière » me prépare le matériel à intubation, je lui demande d'aller récupérer une pince pour attraper l'éventuel bout de viande.
La mise en évidence de ce dernier, est difficile, il me semble voir quelque chose près des cordes vocales, mais c'est déjà ensanglanté et mélangé à des matières digestives... j'essaie sans succès d'attraper ce « quelque chose », rien ne vient. Par contre, quelque chose se débouche, peut-être que j'ai poussé le morceau de viande un peu plus bas, permettant « un petit peu » à l'air d'arriver jusqu'aux bronches de la patiente. Ce n'est quand même pas satisfaisant.. j'ai repoussé le problème.
Les pompiers se relaient pour le massage cardiaque, c'est épuisant pour eux, et au bout de quelques minutes, bien souvent il devient inefficace.
Ça fait plus de 20 minutes au total, que la patiente est en arrêt cardiaque, en « asystolie ». Il faut lui injecter de l'adrénaline rapidement. Je fais préparer 5mg d'adrénaline, et lui en injecte 3mg directement dans une des veines du cou. Je me fais préparer une soluté de perfusion, et de quoi placer une « voie veineuse ». En attendant, je téléphone au samu pour passer un premier bilan. Une équipe est en route , elle sera là d'ici 15-20 minutes.
20+20 … la campagne.
Le stétho sur les oreilles, j'écoute à nouveau si l'air passe dans les poumons. Non. Que nenni. Ça ne passe pas. Re-exploration à la pince dans un mélange de sang et de vomi. Ça y est, je le vois, il est là. J'arrive à l'attraper et à l'extraire. Un gros morceau de barbaque, 5 cm de long, sur 3 de large.. Comment a-t-elle pu se mettre ça dans la bouche ??
Le massage et la ventilation, sont maintenant efficace.. mais.. 30 minutes après le début du problème, ça fait long.. très long. Je crains que le cerveau n'ai grillé. Et je doute que le coeur reparte.
Entre temps, j'apprends que cette dame d'à peine 70 ans, n'avait aucun antécédent particulier, aucun traitement en cours.. « en pleine forme ». Putain, putain, putain !
Sur le scope, je vois l'espace d'un instant, une activité électrique, le cœur serait -il en train de repartir ?? Mouhais.. non . Fausse joie... ou joie de courte durée.
Reinjection d'adrénaline après mise en place de la perfusion. L'équipe du samu arrive. Infirmier, médecin et ambulancière. Rapide transmission, et explication du déroulement des évènements.
Samu: « Tu as fais l'atropine ? »
Moi: « L'atropine ?? Non, j'ai fait l'adrénaline. »
Samu: « Nouveau protocole, quand l'adré n'a pas marché après les 3/3/3/5 mg.. on tente 1mg d'atropine »
Encore un nouveau protocole... l'atropine à l'époque, on la faisait sur les bradycardies.. pas sur l'asystolie.
Laissant l'équipe du smur prendre en charge la patiente, je vais au contact de la famille. Reexpliquer le tout, la gravité de la situation. Ils savent tous la gravité, ils sont du milieu. Ça n'empêche pas de tout redire, au cas où.
L'activité cardiaque de la patiente reprends ! Mieux encore, elle reprend , ET elle est efficace, on sent un pouls. Au bout de quelques minutes la tension remonte à 140/100, la patiente reste cependant dans un profond coma, et intubé, on la fait respirer à l'ambu.
On croise maintenant les doigts... à mon avis 1 chance sur 20 pour qu'elle s'en sorte indemne. 1 chance sur 2 pour qu'elle refasse un arrêt dans la journée. 9 chances sur 10 pour qu'elle ai de lourdes séquelles.
Bon courage à elle et sa famille.
|
|
|
|