Predator
Vétéran
Sexe:
Inscrit le: 01 Juil 2006
Messages: 6144
|
Posté le:
17 Déc 2008, 14:11 |
|
Alpha Charly Alpha
http://www.lepost.fr/
Citation: | De garde ce soir dans le cadre de la PDS (la Permanence des Soins).
20h45, je suis encore au cabinet, la dernière patiente des sans rendez-vous, son fils vomit, avec des maux de tête et une température à 39. Petite frayeur sur une éventuelle méningite, mais rien d'inquiétant à l'examen, juste les céphalées, et les courbatures (dont celles de la nuque qui sont le plus agaçantes puisque pouvant ressembler à une raideur de nuque de la méningite).
Je connais bien la maman qui est une de mes patientes habituelles, comme d'habitude, je décris mon examen au fur et a mesure, les signes potentiellement inquiétant recherchés, puis ce qu'il faut qu'on surveille, et dans quel cas s'alarmer.
Mon portable sonne... "Pompiers" s'affiche. Répondre ou ne pas répondre, la question ne se pose pas. Je suis de garde, je réponds.
Pompiers: "Rica, on a besoin de toi, un malaise cardiaque à XXX, près de l'église, le véhicule de secours aux asphyxiés et blessés est parti"
XXX.. c'est à 20 minutes d'ici. La zone de garde correspond à peu près à un rectangle de 30 sur 20 km.. 600km².
Je ne connais pas trop ce coin, mes patients habituels habitant plus près.
Pompiers: "Je peux t'envoyer quelqu'un pour venir te chercher"
Moi: "Ça marche. Je suis encore au cabinet. J'aurai certainement fini le temps que la VL Samu arrive"
Le temps de faire l'ordonnance pour le petit, de faire passer la carte vitale et d'encaisser, et on entend la sirène de la VL qui s'arrête devant le cabinet.
Le pompier m'apprend qu'il s'agit d'une femme, qui a eu mal à la poitrine, et qui a vomi.
5 minutes à peine après notre départ, on entend à la radio un message du deuxième VSAB de la caserne
Pompiers: "VSAB 2 et VSR d'YYYY, top départ pour intervention numéro zzzzz, AVP à l'intersection des chemins X et Y"
AVP c'est le sigle d'Accident de la voie publique, probablement une cartouche en bagnole. Les routes sont glissantes, et il fait nuit.
VSR c'est le sigle du véhicule de desincarcération, utilisé pour découper les tolles d'une bagnole quand une victime est coincé. Sur tout AVP, au cas où, le VSR se déplace... "on sait jamais", ça ne prejuge donc en rien ni de la gravité, ni du type d'accident.
Le problème, c'est ce que je suis le seul médecin de garde, et que le lieu d'intervention est sur mon secteur, dans le département limitrophe. Et ce lieu, est à l'opposé de l'endroit où nous nous rendons.
Tant pis, me dis-je, en espérant que l'AVP n'est pas trop grave.
10-15 minutes après, nous arrivons après guidage par radio, au fin fond de la campagne, dans un bled d'au moins.. 100 habitants en comptant les animaux.
On se guide dans la nuit, aux gyros du VSAB qui est déja arrivé sur les lieux, ça nous permet de nous y retrouver dans ces petits chemins qui parcourent notre campagne.
Nous annonçons par radio au Services Départemental d'Incendie et de Secours notre arrivée sur les lieux.
Un des pompiers du VSAB vient à ma rencontre, en dehors du domicile.
Pompier : "Rica, je suis pas toubib.. mais c'est pas un malaise cardiaque"
Rica: "Ah..."
Je pense sur le coup... à mes intermèdes clopes de la journée lorsque je lisais et répondais aux commentaires sur Le Post. L'information que vient de me donner le pompier sous-entend clairement que c'est probablement "psy"... et je pense à certains utilisateurs du Post.. et à leur commentaires pleins de convictions sur le post des "actes fictifs".
Je me méfie cependant.. comme il le dit, il est pas toubib, et il faudrait pas que je laisse passer un problème cardio.
Moi: "Bonjour madame, je suis le docteur XXX, qu'est ce qu'il se passe?"
Elle: "J'en ai marre. Marre de tout. Je pète un plomb. Mon fils qui a ses problèmes, et mon mari qui .. "
Bon... Ok. Avant même d'avoir examiner cette patiente, je crois que le pompier a raison, même sans être toubib: c'est pas un problème cardiaque.
Je souris intérieurement et rêve, par un coup de baguette magique, de laisser la gestion de ce problème à certains commentateurs acerbes du Post.
Tout en écoutant cette patiente, je m'inquiète d'autant plus de l'AVP de l'autre côté de la zone... si jamais c'est grave, je suis à 25 minutes, en train de m'occuper d'un malaise cardiaque qui n'en est pas un.
Examen rapide, les constantes, le coeur, le poumon, les antécédents, les médicaments pris, les risques "cardiaques"... la douleur thoracique? C'est une douleur de l'épaule, et d'ailleurs quand elle la bouge, "ça fait mal" (bon ben c'est sûr, c'est pas cardio...). Le vomissement? Elle a pris un médicament pour se calmer et elle ne l'a pas supporté, et elle l'a vomi.
Discussion pour calmer le jeu, j'écoute, avec les 4 sapeurs pompiers autour, son mari, le fils, ce qu'elle me dit (mais en fait, elle parle indirectement à sa famille... ). J'essaie d'accélerer, pensant toujours à cet AVP, elle le remarque presque et commence à froncer les sourcils. J'apprends qu'elle fait souvent des crises d'angoisse, et qu'elle pète souvent les plombs, d'ailleurs elle prend un anxiolytique.
Moi: "Ah bon. Vous êtes suivi?"
Elle: "Ben oui par mon médecin"
Moi :"Un psychiatre?"
Elle: "Hé ho, ça va hein , je suis pas folle!"
Moi: "Ce n'est pas ce que je dit,madame, mais pour les crises d'angoisses répétées, il est souvent judicieux d'être suivi par un psychiatre ou un psychologue.."
Elle: "Non. Non. Je ne suis pas folle".
Et je repense aux commentaires acerbes de mon précédent post. Si loin des réalités du terrain, les YAKA/FOCON derrière leur clavier.
Elle souhaite se faire hospitaliser "mais juste pour une nuit", pour s'éloigner et se calmer, pour me pousser à accepter, elle me glisse le sourire aux lèvres, "on sait jamais, je pourrais me foutre en l'air, hein ".
A vos ordres Madame. Pas de souci. Il n'y avait même pas besoin du sourire aux lèvres et du chantage. J'appelle le samu explique la situation, qui me fait préciser 2 ou 3 fois l'examen organique, car ils pensaient vraiment à un problème cardiaque.
Je leur demande d'envoyer s'ils le peuvent, une ambulance privée, car nos deux seuls VSAB sont en intervention. Et si un accident grave, ou des soins réellement urgents (une vrai crise cardiaque...) sont nécessaires... je n'ai plus de "pompiers" dans mon secteur.
Ils acceptent. (C'est eux qui commandent et qui gèrent la gestion des effecteurs sur les problèmes médicaux)
Nous repartons, et indiquons par radio au SDIS (le cerveau "régional" des sapeurs pompiers) que nous sommes à nouveau disponibles.
SDIS: "VL, dirigez vous vers l'intervention XXX, Blessé grave, Blessé grave"
Et merde.. merde.. merde. C'est l'AVP.
Cette fois ci, le "blessé grave" est quasiment sûr. Pourquoi? Parce que l'autre VSAB est arrivé sur les lieux, et qu'ils ont donc commencé à prendre en charge le patient.
Il n'y a que 3 classifications de victimes chez les SP. Les légers (bien souvent, ils sont plus que légers.. ils n'ont rien...), les graves (susceptibles de s'aggraver rapidement) .. et les alphas (ben .. eux ils sont morts).
Il y a parfois des erreurs de classification, les graves sont en fait des légesr, ou l'inverse.. mais globalement c'est le plus souvent juste.
On remet les gyros (ça éclaire les champs... et c'est joli.. mais il n'y a personne sur les routes la nuit en campagne), on accélère, je sors mon téléphone GPS pour essayer de trouver un chemin plus rapide...que nenni.. il faut qu'on rebrousse la presque totalité du chemin, repasser en "ville". On arrive 20 minutes après au lieu d'intervention, 3 véhicules de pompiers, gendarmerie, habitants du coin.
En pleine nuit, et en pleine campagne, on y voit comme en plein jour, et on se croirait au marché tellement il y a du monde.
Un pompier vient à ma rencontre:
Pompier: "On l'a conditionné dans le VSAB. Un jeune, casqué, scooter"
Un deuxième pompier, dans le VSAB , auprès du patient, me fait un rapide bilan exhaustif:
Pompiers : "Il s'appelle XXXX, 17 ans, TC sans PC, choc frontal, dédouané au niveau rachidien, on a mis quand même une minerve, grosse plaie au niveau de la cuisse droite, pas joli du tout, la saturation est à 99%"
Moi: "Bonjour XXXX, je suis le Docteur Rica, tu te souviens de ce qu'il s'est passé?"
Cette question est un des moyens les plus rapides de savoir s'il y a eu PC (perte de connaissance) ou non. Sachant que la perte de connaissance après un accident, est un critère de gravité.
Il est calme, inquiet, bien orienté, répond correctement à toute mes questions, n'a pas l'air de trop souffrir.
Un examen exhaustif commence, les cervicales, la tête, le thorax (des côtes cassées? Le poumon respire bien?), le ventre (rupture d'un organe pouvant amener à une hémorragie interne?), le bassin (ça saigne beaucoup une fracture du bassin..).
Avant d'attaquer les membres inférieurs, je m'assure qu'il n'y ai "aucun signe en foyer" (ça permet de diagnostiquer une éventuelle hémorragie cérébrale post traumatique).
La cuisse, elle par contre, n'est pas jolie du tout, effectivement. Un trou béant gros comme une raquette de ping pong, déchirant peau, derme et muscle. L'aponévrose du muscle, elle aussi déchirée, est recouverte de cochonneries, des bouts de plastique, du gravier, de l'herbe. Bizarrement ça ne saigne presque pas.. c'est même sec, trop sec.
Je nettoie au mieux cette plaie, et la panse pour éviter au maximum les complications infectieuses en attendant que les chirurgiens réparent cette cuisse.
J'explique tout ça, au jeune homme, il s'inquiète de savoir s'il pourra remarcher.
Moi: "T'inquiète pas pour ça.. Tu as un gros trou qu'il va falloir réparer, mais c'est que de la peau et du muscle, ca t'empèchera absolument pas de remarcher dans quelques jours. Faudra juste que tu fasses pas trop d'efforts dessus les premiers temps"
Un gendarme entre dans le VSAB, un ballon à la main.. dépistage de prise alcoolique.
Ce jeune patient est stable, il ne risque pas de s'aggraver pendant le transport. On décide avec le samu de l'adresser aux urgences les plus proches pouvant prendre en charge ce genre de soins (40 bornes), non médicalisé, c'est à dire sans médecin pour l'accompagner.
Lors du retour, le pompier qui me ramène me raconte sa journée.
Jusqu'a 20 heures ce soir, il a fait le tour d'un quartier avec un autre pompier pour la vente des calendriers (et oui ... c'est la période).
Lui: "On a fait 80 maisons, presque 300 euros. C'est bien !"
Mouhais.. ça fait même pas 5 euros par calendrier.. je trouve que c'est pas énome quand même. D'un autre coté... c'est la crise.... ceci expliquant peut être cela.
Lui : "Il y en a, ils sont vraiment pas sympas. Il y en a un ce soir qui m'a répondu 'Rien à foutre des pompiers'. C'est pas sympa. Après quand ils ont besoin de nous, ils nous trouvent sympas là."
Oh que oui, il a raison.
Je le répète souvent, mais... respect pour les pompiers... respect. |
http://www.lepost.fr/ |
Dernière édition par Predator le 18 Déc 2008, 20:18; édité 2 fois |
|