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Dok
Passionné accro
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Posté le:
28 Juil 2006, 14:16 |
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Une goutte salée ornée de sang parcourt les traits délicats de son visage. Mélange de vie et de larmes, le parcours semble interminable.
Née d'une émotion, déchue par l'espoir, accueillie par la mort, c'est rejointe de ses semblables que cette larme s'écrase au sol, au fur et à mesure que s'échappe la vie du petit corps meurtri de Marianne.
Ses genoux sont la limite de sa vision, l'humidité de ses jambes enfermées dans la fraîcheur de l'acier, liées par des plastiques grossièrement polis lui laisse deviner leur état. Au travers des vitres brisées le souffle de la brume matinale, ce matin d'été, lui brûle le torse, mis à nu, déchiré, mutilé.
Sa longue chevelure blonde de poupée est tâchée de sang, emplie du verre feuilleté qui lui a éclaté au visage. Sur son large front, les cicatrices rougeâtres ont fait fi de la pâleur habituellement de rigueur mais laissent aux crispations de stupeur le désir de s'exprimer. De celles-ci, telles des décorations morbides, tentent de s'échapper des fragments d'os.
Une main gantée s'approche, celle-ci semble distante et floue mais elle sent sa présence sur sa peau, le va et vient incessant et délicat d'une caresse, jamais Marianne n'aurait pu imaginer le réconfort d'un geste bénin, comme un salut.
La tête échappée de la place arrière d'un véhicule blanc et rouge, le corps séquestré. Le recul laisse penser que la tête de Marianne, par-dessus le filet de sang et de bave qui s'en échappe, est séparée de son tronc. Mais il n'en est rien, elle respire péniblement, sanglote et ses larmes rendent limpide la marre coagulée qui se forme lentement sous ses yeux et stagne là, au côté du corps déjà froid de sa maman.
Une goutte salée ornée de sang parcourt les traits délicats de son visage. Mélange de souffrance et de douleur, le parcours semble bientôt s'achever. Le spectacle est atroce, les visages sont choqués. Pour beaucoup de témoins et d'intervenants, jamais la vision d'une telle scène ne s'effacera. Cette petite fille refusant de mourir sous leurs yeux impuissants, préférant endurer une torture inénarrable, fait face au destin, le provoque. Consciente de l'inégalité des armes et de la finalité de son vain combat contre la mort, Marianne apprécie cet instant. Cette caresse pourtant voilée est un signe à ses yeux, un apaisement avant le départ, un encouragement. |
Dernière édition par Dok le 28 Juil 2006, 16:23; édité 3 fois |
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Dok
Passionné accro
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Posté le:
28 Juil 2006, 14:17 |
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Lentement, le voile tombe sur son œil entre ouvert, elle sent bien la main qui tente de soulever ses paupières mais ne peut réagit à cet appel à la continuation d’une vie qu’elle n’apprécie plus. Cet appel gratuit et machinal d’un homme qui n’en a que faire de sa vie ou de sa mort, un appel professionnel, pour se donner bonne conscience peut être. Ce va et vient de sa chair couvrant sa vue abîmée la lasse, elle préfère s’endormir, se laisser aller vers un monde plus paisible.
Des bousculades intenses viennent perturber cette initiation au voyage, si longtemps préparé malgré son jeune âge. Elle sent à nouveau un choc, sa tête posée tendrement sur le sol humide et coloré depuis peu, à côté d’une longue bâche blanche qui couvre le corps découpé de sa maman. Puis, plus rien… impossible d’entendre cet homme alcoolisé qui pleure et semble regretter un acte qui l’a dépassé. Impossible de réagir aux flashes aveuglants, aux claquements des obturateurs. Impossible également d’entendre le grincement amer du brancard, les suspensions dysfonctionnelles de l’ambulance dans sa course contre la montre, contre la mort, masquée par les injures d’un homme stressé et les prières d’un autre tout proche. Et l’arrivée, tiraillée sur un drap, arrachée des lambeaux de vêtements qui couvraient partiellement son corps méconnaissable. Cela ne suffit pas, à cela s’ajoute maintenant un grattement dans la gorge, une sensation horrible, une aiguille qui lui perce les veines, au travers de plaies aussi graves les unes que les autres… puis enfin le noir, le voile est tombé sur sa courte vie.
Marianne a six ans. |
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greg
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Posté le:
28 Juil 2006, 14:23 |
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mim
Passionné accro
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Posté le:
28 Juil 2006, 14:23 |
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Pfiou, je sais pas quoi dire.C'est super émouvant et tellement bien écrit, RESPECT. |
_________________ La culture c'est comme la confiture : moins on en a, plus on l'étale |
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Dok
Passionné accro
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Posté le:
28 Juil 2006, 14:33 |
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En fait, pour l'instant, rien ne dit qu'elle est morte, ce ne sont que des supositions, mais il me reste de nombreuses lignes à écrire, ça sera de plus en plus dur ....
Pour info, ceux qui l'ont pas compris, Marianne représente les valeurs les plus fondamentales de notre république, et elle va subir les baffouements que subissent ces valeurs ... c'est tellement moins acceptable quand c'est une petite fille qui est victime et non un système emplis de valeurs oubliées
Dans un premier temps, Marianne est victime du manque de respect sur la route, après, ça sera de pire en pire *sadique* --> non, prise de conscience. |
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mim
Passionné accro
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Posté le:
28 Juil 2006, 14:53 |
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Ouais ben en tout cas c'est vraiment bien écrit, félicitations! |
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firemi
Nouvelle recrue
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Posté le:
28 Juil 2006, 14:56 |
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Moi je dit CHAPO, super bien rédigé!!Continuez comme ça, c'est super! |
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Dok
Passionné accro
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Posté le:
28 Juil 2006, 14:58 |
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firemi a écrit: | Continuez comme ça, c'est super! |
Je comptais pas arrêter hein ^_^
En tous cas, merci |
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smile
Habitué
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Localisation: région parisienne
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Posté le:
28 Juil 2006, 21:28 |
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je n'interviens que rarement sur le forum mais je dois dire que tes écrits sont touchants...
et d'utiliser une histoire tragique avec une enfant pour nous remémorer les valeurs fondamentales à notre république est super judicieux...
Félicitations!!! .....j'ai hate de lire la suite..... |
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Dok
Passionné accro
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Posté le:
28 Juil 2006, 21:47 |
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Une goutte salée ornée de sang s’échappe d’une éponge pressée, finit sa course dans un seau, rejoint ses semblables innombrables. Drapée de blanc, Marianne dort d’un sommeil profond, d’une clarté sans égale son corps est épousé. Elle semble reposée. Mais loin d’être reposant, le monde s’acharne autour d’elle, impuissante et non réactive aux éléments qui se déchaînement, ce n’est plus de sa volonté qu’elle respire, comme toujours, elle ne peut pas contrôler sa vie. Elle aimerait en finir, elle n’a d’autres choix que de rêver, le temps que les machines l’oublient, le temps qu’elle puisse enfin se reposer et glisser vers le monde meilleur qu’elle a toujours convoité, sans jamais se donner les moyens d’entreprendre ce voyage si particulier.
Marianne vit, Marianne rêve. Sa courte vie défile devant ses yeux, elle est spectatrice de son histoire, comme un honneur à celle-ci, un dernier hommage à ses six années perdues, à endurer la dureté du monde qui l’entoure depuis sa naissance. Quelle frustration que d’être impuissante face à ce film, face à sa vie.
A quoi bon se battre contre la mort, à quoi bon lutter contre cette continuité inévitable. Ce qu’elle aurait pu vivre plus tard, Marianne n’aura jamais l’occasion de le regretter, les saveurs douces et infectes de sa vie d’adulte, les coups de cœur de l’adolescence, les coups de gueule de sa croissance, elle en avait de toute façon fait promesse d’abandon.
De son sommeil profond, Marianne revit les épisodes les plus difficiles de sa vie, ce qu’elle aurait souhaité oublier lui revient, lui saute à la gueule comme un chat apeuré. De ses griffes venimeuses lui écorche l’esprit et ouvre des cicatrices anciennes et partiellement fermées.
D’abord le jour où son papa est décédé devant ses yeux, de sa faute selon elle. Marianne avait cinq ans quand le drame survint. Plein de rêves et d’espoirs s’écroulèrent avec lui ce jour là. Sa vie prit un tournant tout à fait différent. Elle ne s’en remit jamais et ne pouvait s’empêcher de repenser à ce fameux cocktail fatal à chaque fois qu’elle passait devant une pharmacie. Les promesses de son papa ne se réaliseront jamais, il lui avait menti, ce qui remit en cause l’amour, l’affection et la tendresse qu’il avait pour elle. L’aimait il vraiment ou cela était il une illusion pour rendre son départ vers l’au delà plus douloureux. Etait ce volontairement que son papa chéri avait accumulé les lourdes gouttes salées ornées de sang jusqu’à en noyer sa tombe. Marianne n’en avait que faire du discours de sa maman, le vide était là, incomblable et violent. De toute façon, sa maman ne l’aimait pas, la battait. Seul son papa la défendait, l’aimait, la chérissait de toutes ses forces. Elle le cru jusqu’au jour où il quitta ce monde, un goût de médicaments et d’alcool sur le palais. Il lui avait laissé une lettre, pensait-elle. Sa maman la cachait, par jalousie, Marianne était plus aimée par son papa que sa maternelle ne le fut jamais. Quand il s’éteignit, Marianne dormait mais était présente, n’avait rien vu venir, mais les suppositions d’après coups et les regrets ont volé la place que l’ignorance aurait du occuper. C’est la part la plus belle de Marianne qui mourut avec lui ce jour là, le reste n’avait plus d’importance, le reste lui était bien égal ; accepter sa vie sans pour autant l’aimer, vivre avec son cœur à défaut de le comprendre et d'aimer avec. Marianne dort toujours, elle vit et se rappelle, elle nous quitte lentement, bafouée. Marianne a 6 ans, Marianne comprend, maintenant.
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Delta
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Posté le:
28 Juil 2006, 23:21 |
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Très bien ecrit. Dur mais bien écrit, avec le judicieux parallèle.
Bonne continuation, on attend la suite |
_________________ Fondateur https://www.urgensite.fr |
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Dok
Passionné accro
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Posté le:
28 Juil 2006, 23:32 |
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Des bips incessants perturbent le fil de Marianne, des bips lents et irréguliers, des bips faibles et presque imperceptibles. Le tracé de la vie de Marianne inquiète, tout le monde s’agite, sauf elle. Tel un végétal trop cuit, elle dort, se relâche, se ramollit peu à peu, tout comme le fil qui la maintient dans l’engrenage de la vie et l’empêche d’aller le rejoindre.
Entre deux pollutions sonores aigues, c’est le jour de l’enterrement qui fait surface, un jour depuis si longtemps oublié, ce qui n’est pas faute d’avoir essayé, mais à trop souffrir, l’âme blessée masque le reflet des souvenirs de ses coulures. Ce jour infinissable et si particulier de son infime existence qui l’a tant marqué et qu’elle a tout fait pour revivre, les derniers instants passés avec son papa, au travers d’une boîte en bois bon marché, peinte par ses soins, avec son courage et ses pleurs, qu’elle a lentement regardé s’enterrer, sous quelques roses blanches fanées par le temps et ses bourreaux. La descente de la boîte qui laissait derrière elle une odeur pestilentielle témoignant d’un manque d’étanchéité fut comparable à la descende de Marianne. Descente qui devrait incessamment s’achever et lui laisser enfin toucher le fond tant convoité.
Marianne se souvînt que ce jour là, elle était la seule à ne pas pleurer, sa douleur était intérieure, ses proches pensaient qu’elle ne comprenait pas ce qui se passait, et ne lui apportèrent donc pas de soutien particulier. Elle s’en fichait, le seul être qui aurait pu lui rendre son sourire volé d’une embrassade généreuse s’en allait provisoirement vers un univers mystérieux dans lequel elle le rejoindra bientôt, Marianne l’espère, Marianne le sait, elle vit, elle arrive, décorée de gouttes salées, ornées de sang et d’espoir. |
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sol-n39
Fidèle
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Posté le:
29 Juil 2006, 21:40 |
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Alors là je reste sur le "cul" comme on dit , j'en perd mes mots tellement c'est magnifiquement bien écrit, et c'est également trés trés émouvant.
La métaphore avec le symbole de notre république est trés judicieuse. Honnetement ya rien a dire.
Félicitation !!!!
Amicalement |
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Dok
Passionné accro
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Posté le:
30 Juil 2006, 02:31 |
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Une voix familière résonne, derrière la grande vitre partiellement masquée de stores clairs. Les yeux ébahis, France n’accepte pas la finalité de l’accident, voir son amie ainsi couverte, les draps blancs ont en effet laissé à l’hémoglobine la possibilité de s’exprimer pleinement. Au fur et à mesure que Marianne revît les périodes de l’existence qui lui a été prêtée, les plaies omniprésentes se plaisent, elles, à faire partager aux visiteurs la cruauté de ceux-ci. La pièce en est macabrement magnifique, les tâches rougeâtres contrastent à merveille la pâleur des murs. France hurle d’horreur toute sa souffrance. Tant d’instants partagés, tant de choses sur cette terre à explorer. Elle avait prévu de faire un petit bout de chemin avec Marianne sur cette route, sans imaginer le coût du péage de la continuation, le prix de ces instants qui jamais ne seront vécus.
Les yeux fermés, paisible dans l'horreur, apaisée dans la cruauté, le voyage se poursuit, les anges n'ont jamais été si proches. Une main s'approche, mais s'évade aussitôt, comme une illusion, un éclair, un appel de la mort qu'elle refuse pour l'instant. Encore un peu de temps pour se rappeler, c'est ce qu'elle demande et lui a été acquiescé. Ensuite le souffle lui sera coupé et la vie ainsi rendue.
Une porte s'ouvre brutalement, laisse un impact dans la cloison plâtrée, une femme sombrement vêtue s'incruste dans la petite pièce rose décorée d'ours en peluche, pose violemment son sac au sol et d'une claque bien précise gifle Marianne. L'heure est à la remise en question, qu'ai-je fait se demande la fillette. Ce monstre ensuite se dirige vers la cuisine et ouvre une bouteille, une de plus. Un verre d'initiation, ensuite la déferlante. Marianne se cache, elle a compris ce que sera encore sa soirée, sans papa pour la défendre. Sous son lit, elle sanglote, pas trop fort dans l'espoir de se faire oublier. Les spasmes habituels arrivent, claquent le parquet, Marianne a du mal à retenir sa respiration mais elle en a l'habitude. Agacée, la tornade parcourt la chambre et se jette hystériquement au sol, attrape la fillette par les cheveux et la jette au milieu du parquet usé, comme un trophée, une victoire sur l'humiliation, un tracé sur le passé, une étape pour l'avenir. L'empreinte d'un talon sur le front, le dessin bleuté d'une boucle de ceinture sur les fesses encore moites, des doigts si fins dessinés sur les deux joues, Marianne est jetée sur son petit lit, et plongée dans la lumière obscure d'une longue nuit qui débute, une nuit type.
Et papa n'est plus là, pour l'instant car elle le sait elle le rejoindra, elle arrive, une goutte salée, ornée du deuil et du temps.
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futurspv57
Nouvelle recrue
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Posté le:
30 Juil 2006, 13:37 |
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Grand bravo a toi!!! |
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